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  • Un Yack et un caddie (210)

    Un Yack et un caddie

    Les discussions sont fermées. Elles ne débouchent sur rien. Ah si, sur des bouteilles ! Enfin non, faut les déboucher ! Les bouteilles, parce que les discussions, on ne peut pas. Plus fermées qu'une impasse, plus illusoires qu'un trompe-l’œil, plus étriquées qu'un habit moulant, les discussions persistent, dans la médiocrité de notre monde, à être les reines.

    La discussion allait bon train. On parlait voiture. Il y avait Léa qui racontait son passage au salon de l'automobile. Elle s'indignait ostensiblement, de manière presque théâtrale contre le patriarcat qui subsistait dans le milieu de la voiture. Enfin pas que dans le milieu, à l'avant et à l'arrière également. Toutes les portes étaient fermées aux femmes. La clef pour s'en sortir résidait dans la persévérance et la ténacité. Personne ne semblait prêter attention aux revendications féministes qu'elle exaltait.

    A côté d'elle Miguel épluchait la dernière revue «auto-magazine», tout en s'emportant de temps à autre sur tel ou tel article vantant des modèles absolument hors de prix sur lesquels il ne cessait de fantasmer. Il percevait par bribes le discours de Léa. «l'accession en F1 devrait être ...», «sommes aux vingt-et-unième siècle et...», «technologie évolue, mais visiblement pas les menta...». Il se savait d'accord avec elle, donc s'octroyait le droit de ne pas l'écouter attentivement.

    Derrière Léa, Martin jouait allègrement aux petites voitures. Celle qu'il préférait manœuvrer, c'était la grande. La plus grande des petites voitures se trouvait être une Cadillac. La même que celle dans laquelle ses parents avaient foncé dedans. Une Cadillac aux teints clairs. Il s'en souvenait, malgré son jeune âge lors de l'accident, car en sortant il avait découvert la solidité du bolide qui n'avait que de maigres égratignures. Ce n'était hélas pas le cas pour celle des parents de Martin qui durent racheter une de ces voitures qui restera dans le bac et qu'il s'interdira d'utiliser tant que la Cadillac serait en état. La Cadillac prime. Prime de l’État qu'il jugeait insuffisante à l'égard des qualités incontestables en matière de sécurité que représentait cet engin.

    Manon observait Martin. Manon se situait dans un âge où on l'on essaie de paraître grand, mais lors duquel on résiste à la tentation de continuer à s'amuser. Ce que disait Léa ne l'amusait franchement pas. Elle rêvait à l'instant de son futur prince. Elle prévoyait déjà de se promener avec lui, de visiter des paysages dans une dodoche, pas trop moche, après s'être fait un petit cinoche.

    Marie appuyait Léa moralement. Mais elle trahissait ses pensées car elle devait s'afficher unie avec Victor, son petit copain, comme elle se l'était promise. Peu en forme, Victor avait abandonné sa répartie habituelle pour recracher de médiocres convenances, mais également des absurdités innommables. A coups de «Mais n'importe quoi», «Reviens sur Terre, ma pauvre Lucette», «Tu as perdu la boule», il matraquait son adversaire, qui remontée, renchérissait avec des propos très techniques et d'apparente vérité.

    Odile qui avait toujours le mot pour rire -même s'il serait plus exact de dire la blague ou l'expression, car un mot isolé fait rarement rire quelqu'un; à moins qu'il soit sacrément incongru- sortit une de ces perles qu'on n'a jamais deux fois l'occasion d'écouter :

    -Savez-vous comment on appelle les voitures qui se peignent sur des tableaux ? Des auto-portraits !

    Gros blanc. (non, ceci n'est pas une description totalement gratuite et injustifiée qui viendrait en commentaire sur l''apparition d'un nouveau personnage)

    Tandis que le ton montait, la voiture serpentait, réalisait les lacets, sans encombre. Elle serpentait autant que la discussion s'envenimait. Tous se sentaient toujours plus absorbés par leur occupation. Léa par sa mission, Miguel par sa revue, Martin par ses petites voitures, Manon par ses rêves de tour du monde en dodoche avec son prince, Marie par sa complaisance dans le mensonge, Victor par son mépris pour les idées qu'il qualifiait d'abjectes, défendues par Léa, et Odile par la confection de répliques désopilantes à sortir lorsqu'elles s'accordaient le moins avec les propos qui étaient prononcés. Sans aucune raison, Léa et Victor en vinrent à un stade -quel comble pour Victor qui hait le football- où ils ne pouvaient plus avancer aucun argument qui n'aient un rapport avec le sujet initial. Ils tergiversaient désormais sur des futilités. Victor reprochait à Léa montré trop d'affection pour des talons aiguilles qui en plus d'être hideux ne cessaient d'accrocher son orteil. Léa reprochait à Victor de ne pas avoir tenu des propos davantage bienveillants face à sa grand-mère lorsqu'il l'avait envoyé dans les roses -au figuré, sinon la discussion n'aurait pas eue lieue et on en serait peut-être déjà venu aux mains- pour une mauvaise plaisanterie. Incohérent. Le discours prôné par l'un et l'autre commençait à converger sur certains points, à s'éloigner sur le reste et à ressembler à rien d'autre qu'un vaste monologue à plusieurs sens, et à la fois sans autre objectif que de blesser. C'est une lutte qu'ils se livraient. Tout comme le vendeur de pizza livrerait sa marchandise. Enfin lui, ce serait sur un scooter. Le trajet s'acheva avant que les protagonistes n'eurent à utiliser la force pour faire admettre des idées sans sens. Leur discussion s'interrompit net. Retranchés chacun dans leurs convictions, ils s'écartent. Se rapprochent. Pensent au couple qu'ils avaient formé. Y songent. Songent aussi à la voiture qu'ils achèteraient afin de passer leurs futures vacances à parcourir des territoires merveilleux. Ils se trouvent alors sur la route. Ils désiraient se payer une voiture. C'est ce qui malheureusement arriva : ils se payèrent une voiture.

  • Du nihilisme social (209)

    Le mutisme

    Parfois, des altercations verbales peuvent aller loin, plus loin que l'amitié, l'amour ou l'attention quelconque que l'on affecte pour son interlocuteur. Comment une discussion peut-elle virer dans une cacophonie de vers brisés sans fondement et profondément blessants ? Alors on se dit : "heureusement, ce ne sont que des mots". C'est une vision trop simpliste et parfaitement biaisée que de penser que les mots n'ont pas de sens, qu'ils n'ont pas un impact; que nous pouvons survivre à tous les mots, que nous sommes au-delà du verbe, car c'est nous qui l'avons "construit". Nous ne maîtriserions pas notre propre invention ? Les communications ont certes toujours été tendues, mais là, nous atteignons en ces temps, des limites. Si bien que ma "non-communication" (ou bien ma propension à ne pas rentrer dans cette perspective du "parler pour combler les blancs" de nos discussions) commence à être perçue comme un "moyen d'expression pertinent" par certains ou comme une "lâcheté" pour d'autres, lorsqu'avant on ne la considérait tout simplement pas.

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    Maxime Leforestier nous offre des moments de poésie et de franc-parler à l'état pur, me rappelant le lyrisme des chansons de Brassens (il a d'ailleurs repris plusieurs de ses chansons).

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    "Avril, ne te découvre pas d'un fil" :

    Même si cela dépend des jours, l'adage a pu être vérifié ces derniers jours (pas aujourd'hui heureusement, il fallait un peu de soleil pour que les enfants s'amusent à chercher les chocolats !). Cela a également été le sujet donné à Arnaud Tsamère qui a réalisé une excellente parodie de vaudeville :