Ce qui m'arrive est cruel. A part dans mes correspondances par mail et par messages que ce soit sur téléphone ou internet, je me rends de plus en plus compte que je n'arrive pas à exploiter mon imagination. Le terme ''exploiter'' est un peu fort, certes. Plutôt "faire parler" (même si cela dénonce encore le fait qu'elle ne puisse pas s'exprimer d'elle-même). J'ai pourtant réussi le temps d'une soirée ou deux, cette année, à retrouver une écriture correcte, originale, ou du moins que je trouvais ainsi, car elle permettait de développer une histoire que je n'avais pas lu auparavant et que j'aurais aimé lire. C'est un peu le sentiment que j'ai ressenti en relisant un texte que j'ai écrit il y a trois ans et que je vous laisse ici. C'est un extrait. Je m'amusais à écrire des textes venant de nulle part et où les personnes se retrouvaient directement dans l'action.
Extrait
Il referma d'un coup sec, le livre. Il ressentit alors de douloureux maux de tête. Non pas que les quelques lignes qu'il avait lues relevaient d'une quelconque difficulté, au contraire; mais plutôt parce que la divergence, entre le point de vue exposé et sa morale, pouvait rallier, à titre de comparaison, les deux extrêmes d'une droite ! Ce contraste paraissait tellement flagrant dans sa pensée, qu'il éprouvait un mal fou à distinguer la sienne de l'opposée. L'atmosphère joviale s'était atténuée, on entendait toujours, malgré tout, les bières se frotter régulièrement, les hommes s'enivrant jusqu'aux larmes entonnant à tue-tête des refrains patriotiques et les pas cadencés des rares danseurs qui pouvaient encore tenir sur leurs jambes. Ce léger bruit de fond le titillait, l'invitait à rejoindre les festivités mais son cœur balança, pour la première fois de sa vie. Il eut un long flottement, durant lequel il mobilisa toute sa capacité intellectuelle restante pour comprendre ce qui lui arrivait. Ce fut en vain, car à présent des souvenirs de scènes d'horreur se couplaient avec des images de lui enjoué. Enjoué de sa situation; enjoué de son parcours, de ses accomplissements, de son soi-disant bonheur; enjoué de ses années passées derrière cet écran à manipuler des touches, et par la même occasion des personnes; enfin, enjoué d'avoir retrancher l'âme à des milliers de personnes dans sa vie. Mais cet enjouement, c'est l'ignorance qui le permettait, sa crédulité avait orchestré le tout. Comment avait-il pu ne jamais s'en rendre compte ? Il se rappela furtivement de son éducation, si barbante elle avait été, si redondante on l'avait enseignée, aussi dépourvue de connaissances on la lui avait inculquée. Ses yeux malades fixaient promptement la couverture de l'opuscule. Sur celle-ci avait été dessiné un éclair aux contours épais, luisants; y avait été typographié d'une police très soignée cette maxime : «Des ordres et désordres». C'est sur ce titre poignant que ses paupières s'appesantirent, ne laissant plus qu'un corps endormi, entièrement possédé par son propre système cognitif.
Un bourdonnement s'immisça dans le silence pesant. Lorsqu'il s'aperçut de la fraîcheur du ciment sur lequel son corps nu s'était reposé, il frissonna. Une fois levé, un profond désir le submergea, celui de se souvenir des événements de la veille. Il se convainquit dans un premier temps de cogiter un instant pour en retrouver les faits; puis s'apercevant de ses poils hérissés, céda finalement à la tentation de s'habiller avant d'en comprendre pourquoi il ne l'était pas déjà.