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C’est devenu trop facile. Cela ne fait même plus peur. La première fois est terrifiante, la deuxième, on est anxieux et on veut reproduire sa première ; mais la troisième fois, plus rien ne nous atteint. Ou enfin presque. Il y a bien une petite boule qui se crée et qui nous accompagnera désormais lors des deux semaines précédant l’événement. L’objectif n’est désormais plus de le finir, mais bel et bien de réaliser une performance plus importante que les précédentes (7 900 au 1er, 8 600 au second). A deux semaines, la préparation est désormais finie, les dés sont lancés, mais il faudra encore les secoués pendant vingt épreuves pour qu’ils nous annoncent le score final. Quelle combinaison allons-nous réaliser ?
Cette année, ce sont des championnats du monde qui auront lieu à Turnhout, une petite ville de Belgique proche des Pays-Bas. De grands athlètes y sont annoncés au départ, comme le belge Frédéric Xhonneux, recordman du monde de l’icosathlon en un jour (oui, pour certains, il ne faut pas attendre entre les épreuves !). Un icosathlon ‘’normal’’ a lieu comme le décathlon sur deux jours, mais chaque journée comporte deux fois plus d’épreuves. Ces dernières sont espacées de 30’ comme sur le décathlon, ce qui fait de grosses journées. Au-delà des épreuves traditionnelles du décathlon, l’icosathlète va réaliser du lancer de marteau et du triple-saut pour compléter les concours, et de très nombreuses courses de fond et demi-fond supplémentaires : 800m, 3 000m, 5 000m, 10 000m, 3 000m steeple, 400 haies.
C’est une discipline très peu connue, pas encore reconnue par la Fédération Française d’Athlétisme. Pour la première fois, nous allons retrouver 8 français au départ de cette épreuve (habituellement seul 1 ou 2 athlètes par année), ce qui montre un certain dynamisme dans le développement de l’icosathlon.
Un moteur humain n’est pas comme celui d’une voiture, il ne s’use pas lorsqu’on le travaille, il se bonifie ! C’est sur ces bonnes paroles que l’entraînement s’est axé tout au long de l’année, même s’il n’a pas été à la hauteur des espérances. Mais tout peut arriver lors d’une épreuve comme celle-ci : l’échec comme la réussite et Turnhout pourrait livrer son lot de belles surprises. En effet, ''turn out'' a une signification cachée (« se révéler ») qui pourrait bien apparaître au grand jour ce week-end.
Un deuxième s'il vous plaît ! Peu de temps après le 10 000m de l'an dernier, je l'avais annoncé, je serais présent cette année à Cambridge pour réitérer ce qui était considéré par beaucoup comme un exploit : réaliser un icosathlon. En ayant fait "mes preuves" sur le premier, il serait désormais de bon ton d'aller chercher une performance d'une personne connue, un score rond, un titre duquel on pourrait me gratifier. C'est une certaine pression qui se met en place. Quand lors du premier je m'élançais dans l'aventure sans aucune barrière psychologique, sans calcul; là je me retrouverais avec des comparaisons tout au long de mon parcours (mes performances de l'année dernière). La gestion des épreuves va être différente, mais peut être dans le bon sens. Là, où l'année dernière j'avais un peu géré mes premières disciplines en me disant d'en garder pour le reste de la journée, cette année je vais pouvoir vraiment me donner et voir ce qui se passe.
Bon, en tout cas je ne pisserais pas violet pour ma part, je me suis tenu à une alimentation saine ces dernières semaines. Sur les trois derniers mois, en équilibrant et en intensifiant ma préparation sportive, j'ai pu perdre 3 précieux kilogrammes, pour revenir au poids de l'année dernière, tout en ayant certainement pris un peu de muscle ! Et encore, la mesure avait été prise avant de me faire couper les cheveux ^^
Mon état d'esprit avant cette compétition est plus libéré que l'année dernière. Les bagages faits la veille du départ sans aucune pression, les commandes de billets, hôtel, parkings se sont faites dans la logique des choses, plus tôt dans la saison et sans courir après quoi que ce soit. Non, je ne suis pas fou, je ne fais pas de folie; je fais ce qui me plaît !
Bon, mauvaise nouvelle, je vais avoir quelque retard dans l'envoi et la rédaction de mes ressentis sur cet icosathlon à cause d'une batterie d'ordinateur portable venant à bout. Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir été prévenu par mon papa qui avait fait plusieurs déplacements au Royaume Uni pour son boulot que les prises sont différentes de celles en France. En conséquence il m'a prêté un adaptateur que j'ai apporté et qui fonctionne très bien pour mon portable mais pas pour l'ordinateur portable qui ne rentre pas. A voir si je trouve une solution d'ici là. Sinon, je prendrais des notes a la main que je retranscrirais à mon retour. Et je réserve une petite surprise !
En tout cas Cambridge est une ville très sympathique, calme. L'air est plutôt humide et ils annoncent pas très beau ce week-end. Mais le footing a confirmé que la forme était là et en tout cas la motivation est à son paroxysme. Hâte d'être demain pour rencontrer mes adversaires et en revoir certains lors de la cérémonie d'ouverture !
Edit du 26/08 à 19h (heure française) : J'ai trouvé un adaptateur pour 7 livres (fournisseur de lectures officiel !) dans un magasin de souvenirs, alors que j'avais fait plusieurs kilomètres à pied pour rejoindre un magasin d'électronique qui n'en avait pas. Ils ne font rien pareil ces anglais !
Je descends les marches de l'hôtel. Souviens-toi de cette sensation encore agréable de les survoler. Demain, tu risqueras de prendre l’ascenseur... Petit échauffement. Outch, cela va être super dur d'élever ses jambes au-delà d'1m06 et cela dix fois. Les autres font quelques accélérations sous mes yeux. Comment peuvent-ils être encore aussi rapides ? Je crois vraiment pas pouvoir passer dix haies, jusqu'à ce que le coup de feu retentisse. La journée est lancée.
Les épreuves s'enchaînent plutôt bien et je suis même déçu de ne pas pouvoir m'employer davantage au saut à la perche parce que je n'ai pas le matériel nécessaire pour aller plus haut. Sept perches différentes pour tous les concurrents, aux profils et aux performances différentes, ça fait un peu short. D'ailleurs le short, c'est ce qu'il faut, car le soleil n'arrête pas de me cuire depuis le début de l'icosathlon. Je vois déjà ma peau virer au rouge.
17ème épreuve, cela fait 4 épreuves qu'on commence à compter le nombre d'épreuves restantes. Bon, pour dire vrai, c'est depuis le début que je l'ai compte. Tu es tellement atteint psychologiquement par le défi qui t'attend que tu essaies de faire travailler tes méninges à chaque fois que tu en as le temps. C'est l'heure du lancer de javelot. La technique laisse à désirer. Je suis loin, trop loin de mon record (7 mètres de différence). Mon objectif des 8 000pts pour l'icosathlon s'envole (pas mon javelot, malheureusement). Un Allemand chantonne ''ou i ou ah ah''... Mais je la connais celle-là ! Visiblement, la culture n'a pas de frontières !
19ème épreuve. Le temps du 1 500mètres que je viens de courir est loin d'être satisfaisant. Ai-je encore les jambes pour rebondir convenablement ? Où est la logique de mettre une épreuve aussi physique en avant-dernière position ? L'entraide entre icosathlètes est à son comble. La ''clap'' retentit pour chacun absolument tout le monde, sur tous les essais. Regain de motivation. Le premier essai est magique : 10m40, à 30 centimètres de mon record. Les deux autres un peu moins bons, mais corrects. Je suis en train de m'en vouloir pour le javelot... il aurait manqué un ou deux mètres pour les 8 000. Mais pas le temps de se lamenter, on nous appelle pour une épreuve redoutée par plus d'un !
Au départ, je me souviens d'une chanson de Skip The Use :
Tu en as déjà fait des 10 kilomètres... Tu pars lentement, et tu accélères vers les derniers tours... Il suffit de bien souffler, de bien se ravitailler... Je peux essayer de me rassurer autant que je veux, il n'en reste pas moins 25 tours à parcourir. Petit cri d'encouragement, ''good luck'', ''good luck'', ''good luck'', ''good luck''. Il va en falloir. Les premiers tours se passent super bien, je garde un rythme satisfaisant, puis, je décélère... Tour après tour, je ralentis d'une seconde par 400mètres. Plus que 8, 7, 6, 5, 4. Une juge me lance ''5 laps''. What ? Mon cerveau encore lucide se révolte en français. ''4 laps'', ''no, 3, I'm sure''. Vous n'allez pas me rajouter un tour... surtout pas à ce moment de la course où je me trouve en si bonne forme. Coup au moral. Je termine tant bien que mal; surtout mal. Il me faudra plusieurs minutes pour souffler et vérifier auprès des juges que j'ai bien réaliser les 25 tours requis. Délivrance. D'autres au sol, ne savoure pas encore leur icosathlon. Un athlète italien, ainsi qu'un estonien (les deux premiers au classement général) tombent inconscients; certainement à cause d'une très forte hypoglycémie. Surtout l'Estonien qui va rentrer dans l'ambulance plusieurs minutes avant d'en ressortir et avoir une longue discussion avec l'Italien. Ce qu'ils ont vécu est fort. Ils sont allés au bout d'eux-même et se sont vraiment battus jusqu'au dernière mètre.
On finit la soirée dans une cave pour la remise des récompenses. L'entrée en fanfare des belges est remarquée; ils ne manquent pas une occasion de faire la fête ceux-là ! Les médailles sont remises dans une ambiance de feu, avec des applaudissements rythmés par les chansons du DJ, spécialement venu pour l'occasion (c'est le frère de l'organisateur. Mais il n'empêche qu'il est très doué). Puis, deux bonnes heures de danse. Avec comme point d'orgue, l'arrivée sur scène du jeune japonnais qui lors des deux journées nous a bien faire rire. Joyeux tout le temps. Il semblait découvrir certaines épreuves (saut à la perche, lancer de marteau). Et là, sont déhanché en a fait rire plus d'un. Quel showman !
Je sors. Oui, toutes les bonnes choses ont une fin. Et lorsqu'on a goûté quelque chose, il faut une autre bouchée pour savoir si notre palais peut s'y adapter. Là, mes jambes s'y sont déjà fait. C'est comme une promesse qui se fait dans ma tête. Birmingham, 2016. Je n'ai jamais été au Royaume-Uni... Et c'est plus proche, donc je serais moins fatigué à l'entame de la compétition. Et je me serais mieux préparé pendant toute l'année. Et je viserais les... rom pich rom pich rom pich (si je me fais battre par mes paupières, comment je peux être aussi solide au niveau des jambes ?)
En me levant, je repense à une discussion que j'ai eu avec les néerlandais en les rencontrant. L'un d'entre eux me disait être à son cinquième icosathlon, sans jamais avoir fait de décathlon de sa vie ! Il y en a qui n'ont pas compris le système de paliers et qui montent des immeubles en ascenseur, en espérant ne pas tomber de haut lorsqu'ils découvriront que la porte s'ouvrira sur des chemins très accidentés [instant métaphore].
C'est le grand jour ! Direction l'inconnu ! Le stade est bien calme; on revoit les athlètes découverts la veille, on se salue, ça reparle dans toutes les langues et on sent la braise qui a déjà pris. Dix épreuves au programme, les ''moins dures'' sur le papier. Le starter se met en place, nos appétits de sportifs sont en ébullition. Et comme entrée bien digeste, nous prendrons un cent mètres pour lancer la course effrénée qui va se dérouler durant ces deux journées (à peine le temps de digérer un plat, qu'on vous en sert un autre encore plus dense). Il faut en avoir du ventre pour réaliser un icosathlon. Les consignes sont données... en Estonien ! Les Italiens sont un peu déstabilisés par ce fonctionnement (merci mes solides bases en espagnol qui m'auront au final un peu servi ! D'ailleurs un Estonien qui termine médaillé d'argent de ces championnats du monde d'icosathlon m'avait parlé la veille dans la langue de Cervantes. Il connaît pas moins de dix langues et ce simplement pour son plaisir, car il n'en aura pas besoin professionnellement. J'ai encore un peu de progrès à faire... surtout quand on voit l'anglais presque parfait des Néerlandais.). On entend donc un ''à vos marques'' assez longs et compréhensibles seulement parce qu'on connaît l'ordre des instructions et que quand tu te trouves devant un starting block, avec un starter en lançant haut et fort sur un ton cérémoniel quelques mots, tu ne vas pas sortir une bouteille d'eau, sortir un ''monopoly'' ou saluer un ami que tu distingues au loin. Non, c'est l'heure de partir ! ''Vaiimarrtt'' Coup de feu ! Je suis lancé. Et plutôt bien, direction le terminal (espérons qu'il soit plus facile à rallier que celui des aéroports).
Je croise l'autre Français qui s'est inscrit pour la compétition seulement quelques jours avant, inspiré par ses performances des championnats du monde vétérans à Lyon. Il vient de Carcassonne et repart après ce passage par Tartu (Estonie) vers le Qatar ! On a pas tous les mêmes budgets et opportunités apparemment.C'est avec lui et un concurrent Belge, que je décrocherais mes seuls mots en Français du voyage (à part pour blaguer avec l'Estonien ''multi-lingues'' qui s'exclamait ''bravo meussieux'' en distinguant bien les mots).
Après neuf épreuves, les nerfs ont beaucoup lâché de lest, les esprits se sont échauffés, ont vibré au son des claps lors des essais des différents concours, mais maintenant, c'est là qu'il faut qu'ils rendent l'âme. La dernière fois que j'ai fait du steeple, j'ai fait un beau plongeon dans la rivière; alors après cette dure journée avec notamment un 5 000m et plusieurs courses assez rapides, comment est-ce que je vais parvenir à ne pas me prendre les pieds dans une barrière ou éviter un plongeon à la verticale faute d'avoir les moyens nécessaires pour pousser un minimum sur la barre de la haie devant la rivière ? Trop de questions ! Part prudemment et finit comme tu peux. J'ai adopté la meilleure stratégie. Plusieurs participants devant moi après un premier tour très rythmé se font reprendre les tours suivants. Mais là n'est pas le plus important : je parviens à être plutôt propre et ne ressent pas trop de gênes à part le mollet qui n'apprécie pas ces chocs de dernière minute. Sur les deux derniers tours, un Britannique partit à son aise ne peut plus passer les barrières. Il doit marcher et les franchir en s'allongeant dessus. 800 mètres pour rattraper les 50 qui nous séparent. A la cloche, il est au bout de mon nez, je l'atteins. Il me re-dépasse sur la partie plate, avant de se faire reprendre une nouvelle fois et pour de bon après plusieurs obstacles franchis ''proprement''. Ouf, j'ai vu le bout de la première journée et les performances sont ''dans les clous'' (sans s'être fait mal !).
Direction l'hôtel pour manger un ''petit quelque chose'' et s'endormir aussitôt, sous les coups de 23h30.
La nuit risque d'être courte (petit-déjeuner programmé à 6h30). J'aimerais seulement que mon réveil fonctionne, et que je l'entende, si je pouvais bien récupérer, ce serait un must.
Je manque de volonté : je n'arrive pas à vouloir dormir, c'est fou. Il est six heures lorsque je me réveille. Je somnole jusqu'à huit et pars prendre ce qui ressemble à du jus de pomme rouge, des céréales et quelques biscuits locaux assez appétissants. La journée peut commencer.
Au programme ce matin, visite du musée du jouet de Tartu. Si, si, c'était sur mon programme. Je me lance donc à la recherche d'un endroit répondant au nom assez original de ''Mänguasjamuuseum''. Deux petits kilomètres de marche. Enfin, quatre ou cinq lorsqu'on se lance dans une ville sans carte et avec une connexion wifi glanée ici et là. Je finis par trouver... mais n'y entre finalement pas ! Ce qui m'était annoncé comme ''le plus grand musée du jouet au monde'' se trouve être en fait un ridicule bâtiment dont l'entrée de 5€ semble rebuter même les parents les plus dépensiers dans la surenchère d'attentions portées à leurs enfants. Dommage.
Le trajet m'aura tout de même permis de trouver un petit endroit pour manger et récompenser mes muscles et mon ventre d'avoir tenu un icosathlon (McDo); l'hôtel qui m'accueillera les trois prochains soirs, ainsi qu'une espèce de centre-ville avec de super beaux bâtiments dont on jurerait qu'ils sortent tout droit des Emirats Arabes Unis tellement ils brillent et me font lever le cou. Bon, trêve de détours Thomas, un petit repas et la sieste.
Je rentre dans ma chambre, et quel ne fût pas mon étonnement en retrouvant des dizaines d'affaires absents des deux autres lits la veille. Cela doit être la fatigue, je m'endors. Au réveil, deux Néerlandais arrivent tout sourire se présenter : Peter et Jeroen (je n'arrive toujours pas à prononcer ce prénom après quelques heures de pratique). Mais je n'étais pas au bout de mes surprises, puisque dans la soirée j'allais devoir prononcer notamment à plusieurs reprises des Joni (ce qui est le moins dur d'entre tous), Spartak et Bilen. Un autre Néerlandais, un Estonien et un Anglais. J'obtiens mon dossard. L'aventure peut réellement commencer. Les ennuis aussi.
C'est quoi cette odeur de carotte assez forte ? Oh, noooooooo. Le jus de mes carottes rappés qui sentaient horriblement mauvais, mais puissamment mauvais s'est déversé dans ma glacière. Le couvercle était juste entrouvert. Ouf, je vais pouvoir me forcer à devenir un ''être aimable''. Allez deux ou trois noix de cajou (une douzaine pour être un peu plus précis), et je file avec la troupe d'icosathlètes logeant dans le même endroit que moi vers le ''Gunpowder Cellar'', lieu de la cérémonie d'ouverture. Présentation succincte de l'événement, de son organisation, très bref, très sobre. Et les discussions peuvent commencer autour des assiettes. La mienne contient du riz, un morceau de ''grilled chicken'' et de légumes en tout genre. Les conversations sont lancées dans toutes les langues : russe, néerlandais, anglais. Euh, et oh les gars, je suis là. Même lorsque c'est en anglais, je dois déchiffrer les paroles et rire deux secondes plus tard d'une vanne qui était super drôle, mais dont je n'avais pas compris la finesse sur le moment. Un gars qui se trouvait aux championnats du monde masters à Lyon il y a deux semaines ne manque pas de me faire remarquer que personne ne parle anglais en France et s'étonne que je puisse balbutier quelques mots. Le groupe d'à côté cherche un photographe pour que tout le monde apparaisse sur les photos, je me suis aimablement proposé. Je me suis bien réservé de dire à cette grande équipe de Belges que je parlais français, jusqu'au moment où j'ai lancé un ''où est-ce que se trouve le bouton ?''. Moment d'étonnement épique, ''ah tu parles français ?''. Je suis cruel. Ils m'applaudissent pour avoir tenu la dizaine de photos avec plusieurs appareils différents (tablette, smartphone, appareil de première qualité, appareil super sophistiqué) et le repas peut reprendre.
Il est bientôt vingt-deux heures et je m'apprête à faire quelque chose d'encore plus fou qu'un icosathlon : me coucher à une heure si avancée. Je le fais à la fois pour mes deux ''amis de chambre'' et pour mon cerveau qui a besoin d'accumuler plus d'énergie que jamais s'il ne veut pas vaciller lors des dix kilomètres de dimanche soir. On entend un petit feu d'artifice au dehors, rien de bien méchant, mais ne serait-ce pas une métaphore pour nous annoncer le feu d’artifice d'émotions qui s'annonce ce week-end ? Head ööd (bonne nuit) !
Les yeux picotent (pas encore du pain dur, heureusement). La nuit a été longue, mais le voilà le beau matin, et le bel appareil qui devrait m'accompagner jusqu'à ma destination finale (j'ai toujours peur d'utiliser cette expression depuis que j'ai vu la tordante série de films du même nom). ''Vous pouvez changer de siège si vous voulez plus de place'', dit l'hôtesse de l'air dans une langue que je ne connaissais pas, certainement le finnois (et non pas le finlandais [à ce propos, la Hollande n'existe plus... c'était une province des Pays-Bas. En revanche, Hollande existe toujours et a bien décidé de faire parler de lui avec ses soi-disant futures baisses d'impôts, inversion de la courbe du chômage (est-ce que cela a un sens d'inverser une courbe se demandais Charlie Hebdo ? Ne faudrait-il pas plutôt retrouver de l'emploi ?)]) puisque la compagnie était installée à Helsinki, mais dont je devinais le sens par les amples gestes qui complétaient ses paroles. Ce n'est pas gentil pour la personne assise à côté de moi, mais surtout, quel est l'intérêt d'avoir une place qui est exactement la même en terme de taille ? Cela t'enlève uniquement la pression psychologique d'avoir une personne à ses côtés... enfin, cela enlève aussi les possibilités de converser avec elle, de découvrir des nouveaux horizons avec un formidable outil qui s'appelle le langage. Il se trouve que dans ce cas, le monsieur n'était pas disposé à me parler, mais qui ne tente rien n'a rien.
J'arrive à l'aéroport de Tartu. Un taxi, un car, puis rien. Et moi ? Obligé de demander à une dame de l'aéroport en anglais (après avoir compris une phrase qu'elle avait lancé en russe !) si elle pouvait me faire venir un taxi pour rejoindre l'hostel (non, vous ne rêvez pas, j'ai bien orthographié ma destination. Un hostel, c'est comme une auberge de jeunesse, si quelqu'un sait pourquoi on l'appelle ainsi, je suis preneur...). Au passage, je suis assez fier de moi, puisque mes petits efforts en russe ont payé. Ainsi j'ai pu comprendre à l'aéroport que les enfants parlaient de «Samaliotte» (la prononciation du mot ''avion'' en russe) avec leurs parents ! Oui, oui, un mot compris dans une autre langue et je me sens plus pisser me direz-vous. Eh bien mes exploits ne s'arrêtent pas là...
J'ai trouvé un endroit avec une grosse pancarte ''Konsum''. Croyez-moi ou non, mais j'ai aussitôt deviné que c'était un supermarché ! Après, j'ai regardé dans un dictionnaire en ligne d'estonien, et en fait, je ne trouve pas la traduction du mot, peut-être l'ont-ils appelé ainsi en résonance du ''consume'' anglais. Bon, finalement, mes déductions linguistiques ne sont pas aussi glorieuses que je ne l'imaginais !
Petite balade d'une heure en ville pour se reposer et ''voir du pays'', enfin ''de la ville'', mais comme l'expression c'est ''du pays'', bah j'essaye de l'utiliser correctement, même si du coup, elle n'est pas trop adéquate au contexte. Je découvre des bâtisses très diverses. Chaque construction a des matériaux différents, a des couleurs très différentes. Les Estoniens ne semblent pas avoir de règles bien précises pour peindre leurs maisons puisqu'il ne faut pas s'étonner de voir un mur d'un même bâtiment changer trois fois de couleur sur sa largeur. On se rend compte ainsi, à travers les kilomètres, des écarts de richesse très disparates, des contradictions dans une même rue où l'on trouvera des fabrications en bois et à côté de la bonne brique bien astiquée, ''dernier cri''. J'aimerais continuer ma promenade, mais hélas, le repos m'appelle (oui, il a mon numéro !). J'aurais aimé trouver le centre-ville, s'il en existe un, car en soixante minutes, je n'ai vu pratiquement que des maisons -à l'exception de quelques rares immeubles de trois ou quatre étages maximum- à perte de vue et possédant presque toutes d'un jardin vraiment bien entretenu avec tout type de décorations, de fantaisies, de beautés.
Très patriotiques, les Estoniens ont drapeau devant leur maison. J'apprends que ce 20 août est un jour un peu spécial puisqu'il correspond pour eux à l'indépendance face à l'ex-URSS. Je me demande s'ils le gardent à l'année ou l'ont érigé pour l'occasion.
Me voilà dans mon lit. Vite, faut que je récupère les heures de sommeil. Promis, je vais faire une folie que cela faisait très longtemps que je ne m'étais pas réservé : je vais dormir sept heures et demie et prendre le soin et le luxe d'y ajouter une sieste le lendemain, après le déjeuner. Il faut bien cela pour arriver en forme face à un effort dont je ne mesurais peut-être pas toute la difficulté... 48 heures avant le début du verdict ! Demain, cérémonie d'ouverture. C'est classe, c'est sérieux, c'est sympathique, j'espère y rencontrer du beau monde et surtout y glaner quelques précieux conseils de ceux qui auraient déjà eu une ''expérience similaire''.
Aujourd'hui, c'est le départ. En route vers l'inconnu. Ni une, ni deux, j'attrape mes bagages complétés par quelques idées d'accompagnement de dernière minute (tiens, ce serait pas idiot d'avoir un chargeur de portable ou un petit livre à bouquiner). Première étape, le TGV en direction de l'aéroport Charles de Gaulle ! Non sans son lot de retards ou problèmes techniques. 20 minutes, ça va, à ce stade c'est être en avance pour eux. Heureusement, il me reste six heures avant le décollage de mon avion.
Enfin, heureusement... Si, heureusement, en fait. Je trouve que le temps d'attente est un temps qui n'est pas perdu, ou du moins qui peut ne pas l'être, et qui n'a jamais été ennuyeux pour moi. Suis-je un extraterrestre ? Je me suis avachi sur un de ces nombreux sièges à perte de vue dans l'aéroport, et ai ouvert un petit livre jaune : pas mécontent de l'avoir apporté celui-là. C'est un Fakir qui voyage un peu. En l'apportant je n'avais pas du tout voulu le prendre parce qu'il avait une quelconque relation avec ma situation; mais je trouve la coïncidence bienheureuse.
Oh, une Espagnole à côté de moi. Oh, des Russes derrière. Oh, un Français. Mon cortex cérébral se met déjà en ébullition et essaie de se concentrer sur le petit bouquin que je dévore des yeux. Petit passage par le Royaume-Uni, l'Italie, et hop, vers la Libye. Je me déplace pour aller aux toilettes. Mais, c'est que ça a changé l'hygiène dans les lieux publics (ou juste dans les aéroports ?) : la chasse d'eau se tire en appuyant un bouton avec le pied, les toilettes hommes et femmes ont le même motif (pas de discrimination), une propreté et pas mal de place pour ceux qui voyagent seuls et qui doivent emmener leurs bagages avec eux absolument partout. Je reviendrais plus souvent par ici, me dis-je. Enfin, pas le temps pour l'instant, je pars m'enregistrer.
18,5 kilogrammes. Quoi, moi, jouer avec le feu ? Avec mon corps oui, mais ce n'est que pour le muscler ;) Je sépare mes appareils électroniques de mon sac à dos; c'est bon, je n'ai pas d'explosifs, je peux avancer. Embarquement. Décollage. Je ne me souvenais pas que cette partie du vol était si amusante. On se croirait dans une montagne russe avec l'avion qui avance tout doucement et ensuite il met les gaz d'un seul coup pour vous projeter vers l'arrière du siège.
La partie amusante étant finie, je reprends le grand feuillet jaune et suit captivé par les dernières pages. L'auteur m'aura fait sourire du début à la fin, m'aura fait voyager et surtout apprécier la vie que je mène, contrairement aux clandestins, qui eux voyagent, mais très mal et avec toujours la crainte qu'ils soient arrêtés dans leur course. Le nom barbare du livre est «L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa», écrit par Romain Puértolas. C'est un livre complètement ''barré'' comme je les adore. Des noms imprononçables, dont l'auteur se sent obligé de donner la prononciation (farfelue); des péripéties rocambolesques; des comiques de répétition savamment dosés. Rien à redire, vrai coup de cœur. L'avion est désormais lancé à 800km/h. Je permets à mes yeux de relâcher l'attention pendant une quinzaine de minutes.
Lorsqu'ils s'ouvrent, ils tombent sur un film muet qui ressemble à du Charlie Chaplin sur les petits écrans en hauteur. Deux boxeurs qui se tapent n'importe comment et qui assomment au passage l'arbitre. C'est pas drôle. Peut-être le bruit des réacteurs y joue; mine de rien, il manque une petite musique, ou alors qu'il soit vu dans le silence complet. S'ils avaient vraiment voulu nous divertir, il aurait fallu mettre ''Non-Stop'', cette grande production américaine qui conte l'aventure de Liam Neeson dans le rôle d'un policier qui prend un vol qui ne se passera pas comme les autres !
Petit temps de latence. On observe les langues se délier, les gens commencent à bouger et on se met à admirer par le hublot les paysages de rêve sous un couché de soleil magnifique. On se croirait dans les films de Yann Artus Bertrand. Tu vois des petits points lumineux, puis tu vois des groupes de points lumineux, et en fait là tu t'aperçois que le moment fatidique est arrivé : celui de la descente. Et là, j'ai un autre film en tête, l'introduction du film ''Les nouveaux sauvages'' (https://www.youtube.com/watch?v=qM6G9MFvuqg regarder à 5'00'') ! Autant dire que me voilà pas très rassuré sur mes chances d'arriver en un seul morceau encore valide en bas. Pour nous rassurer, tu entends le commandant de bord prendre la parole. Il parle en finnois, puis en anglais. Et là, lorsque c'est le tour d'imiter Shakespeare, c'est l'horreur, mes oreilles se dépressurisent. Ou alors c'est la pression et l'altitude et des lois physiques qui font que mes tympans me font extrêmement mal. Mais il me semble tout de même entendre un anglais très approximatif et dont finalement, je ne comprends que des mots éparpillés.
Lorsqu'enfin je touche terre, je me trouve à Helsinki, en Finlande. Premier vol d'effectué sur les quatre que comptera le séjour. Et dire que toute cette aventure a commencée par une discussion innocente avec un ami d'athlétisme. Je dois transiter pendant onze heures avant mon second pour me rendre à Tartu. Je me découvre une phobie : je n'aime pas dormir en public. Non pas que je ne fasse confiance à personne, mais j'ai peur que la vue que je laisse à donner aux personnes est pitoyable et que si je pouvais l'éviter, il fallait le faire. Pas grave, je prendrais le temps de faire une sieste une fois à l'hostel (une sorte d'auberge).
C'est quoi ce titre barbare, tu vas encore nous sortir ta science grecque, c'est ça ? Pas du tout ! Je n'ai pas de notion au-délà du décagone, du décathlon, du décamètre (à part le double décamètre !), mais je sais que l'icosathlon, c'est 20 épreuves ! Vous connaissez le décathlon ? Non, pas le magasin, l'autre décathlon ! Oui, celui où les hommes retirent leur t-shirt et font un tour de stade après avoir été au bout d'un 1 500m qui concluait deux journées d'éprouvantes disciplines qui ont mis leur corps à rude épreuve. Eh bien, l'icosathlon, c'est deux fois plus fun ! Au programme : du triple-saut, du lancer de marteau et surtout des épreuves de fond comme le 3 000m steeple, le 5 000m et pour parachever le tout, un 10 000m. Et les 20 épreuves, en deux jours ! Il faut être sacrément "barge" pour faire cela. Je ne comprends même pas pourquoi nous ne sommes qu'une soixantaine d'inscrits... alors que tout le monde est le bienvenu, sans qualification requise ;)
Pour réaliser cette compétition pas vraiment connue (même de ceux qui pratiquent l'athlétisme), je vais m'envoler pour Tartu, une ville qui dépasse tout juste les 100 000 habitants et qui est la deuxième plus grande ville d'Estonie (après Tallinn, la capitale qui en comporte 400 000). Là-bas, on parle l'estonien principalement. Merci "google traduction" pour me suggérer "tere" (et sans le petit microphone pour entendre la prononciation :/) pour dire "bonjour". Sinon 30% de la population a le russe comme langue maternelle; je pourrais peut-être sortir une dizaine de mots glanés lors de ma première année d'étude de cette langue et ainsi renforcer mes acquis ! Au pire, l'anglais fera l'affaire (38% la comprennent selon Wikipédia [recherches on fire !]).
Dans tous les cas, cette petite semaine, dans ce petit pays vont mettre mes connaissances linguistiques à très rude épreuve. Les icosathlètes viennent de pas moins de douze nationalités différentes. En quelle langue je vais conversé avec les hollandais qui seront avec moi à l'hostel les premiers jours ? L'aventure nous le dira !
Je dois vous laisser car mes valises ne sont pas encore tout à fait prêtes à quelques heures du départ. Hâte de découvrir une culture très peu connue, dont on n'a que des préjugés (proche de la Russie, ex-soviétique, donc forcément baignée dans le crime, rien d'intéressant à voir). Mes jambes, mon corps répondent bien aux derniers entraînements. Mon esprit va s'affranchir peu à peu de toutes les barrières, après une petite adaptation, afin de rentrer sur le stade avec une seule envie : s'amuser et libérer les chevaux (oui, je me compare à un objet mécanique, mais en réalité, je suis humain (l'icosathlon est-il un format de compétition pouvant être décrit comme "humain" ? réponse dans 4 jours, après le 10 000m !)).
Sportivement,
Un futur convalescent ;) (préparez-moi un lit bien douillet pour le mois qui suivra...)